vendredi 19 septembre 2014

Au centre Antonin Artaud à Reims

Article paru dans L'Union L'ardennais REIMS (51) 
le 17 septembre 2014 

Depuis sa création en 1985, ce centre propose une vision humaniste de la psychiatrie. Avec toujours cette question essentielle : quelle place pour les fous dans notre société ?

Patrick Chemla, responsable du Centre Antonin Artaud
aux côtés de sculptures réalisées par un patient.  Rémy Wafflart.
Ce matin-là, c’est jour d’assemblée générale à Antonin-Artaud, dans les locaux de la rue Talleyrand, en plein centre-ville. Dans une salle, une quarantaine de personnes ont pris place. Patients, psychiatre, infirmiers, éducateurs et stagiaires. Ici, il n’y a ni blouse blanche ni pyjama. Les projets des semaines à venir sont évoqués : journée de la solidarité, fête de la Salamandre, sortie en Alsace, etc. Une femme lève la main : « Et on ne pourrait pas faire une sortie au quai Branly ? » Patrick Chemla, fondateur du centre Antonin-Artaud, répond: « Oui, pourquoi pas ? Il faudra voir qui est intéressé... » Des personnes acquiescent déjà en silence. Ce qui frappe, c’est la qualité d’écoute. Est ensuite abordé le meeting qui se tiendra le 1er novembre, à Montreuil, avec le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire.

Au programme : les enjeux actuels de la psychiatrie, et dénoncer le projet de loi de la ministre de la santé Marysol Touraine « qui nous inquiète », commente M. Chemla. « La conséquence possible, c’est qu’on risque fort de se retrouver avec une absence de liberté et d’indépendance par rapport à ce que nous faisons. » Le projet de loi ne prévoit « rien de moins qu’une uniformisation » des pratiques psychiatriques. « Une homogénéisation qui se fait de manière extrêmement normative, avec toujours plus d’administratif, etc. On est mesurés sur notre capacité à appliquer le protocole. », nous détaillait quelques jours plus tôt M. Chemla. Lorsque nous avions démarré dans les années 80, on était presque des illégaux. On est passé de la tolérance à l’institutionnalisation. Et avec l’institutionnalisation est venu la normalisation. »
Retour à l’AG. Une femme au regard révolté propose une « grande pétition parce qu’un meeting, franchement je sais pas, les médias de toute façon, ils ne montrent que la guerre!» Clément, qui semble avoir un goût prononcé pour les horaires de train, se lance à son tour : « C’est peut-être utopique mais pourquoi on n’uniformiserait pas à notre manière ?» Sourires dans l’assemblée. «Les gens travaillent comme ils le souhaitent », lui répond doucement un autre psychiatre.
Ainsi va la vie au centre Antonin-Artaud, que certains sceptiques ont depuis longtemps rebaptisé « centre Antonin-Marteau », rit M. Chemla. L’idée de départ était celle du « club thérapeutique (...) On met sur un pied d’égalité psy et patients dans la prise en charge. La relation n’est pas hiérarchisée. Quand je vois un patient pour la première fois, je demande toujours : Qu’est-ce que vous voulez faire ? » Le choix des médicaments, s’ils sont jugés nécessaires, est débattu. Surtout, le médicament n’est qu’un élément de la thérapie proposée par l’équipe de M. Chemla. Pas question donc, de « mettre les gens dans des cases » mais au contraire de « responsabiliser » le patient, considéré « comme une personne. » Bien sûr, celui-ci, à Antonin-Artaud comme ailleurs, les rechutes sont possibles et certains patients peuvent par moments se retrouver davantage rassurés par un cadre hospitalier que par un centre de jour libre et ouvert. « Tout ce qu’on tente ne réussit pas forcément, bien sûr ! », rappelle en guise d’évidence M. Chemla.

Offre de soins plurielle

Comment arrive-t-on à ce centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) ? « Les patients viennent librement, peuvent être envoyés par leurs familles, par des psy ; il est aussi arrivé qu’un patient se soit vu recommander le centre par un autre patient», résume Gérard Rodriguez, cadre santé à Antonin-Artaud.
Centre de jour mais aussi appartements thérapeutiques, centre d’accueil rural et hôpital psychiatrique : l’offre de soins est plurielle. 90 % des patients sont suivis en ambulatoire, contre 10 % en HP. Entretiens, groupes d’entraide mutuelle (Gem), ateliers d’art ou discussion informelle autour d’un café, etc. : les soins, « basés sur la psychothérapie institutionnelle, avec une orientation psychanalytique», revêtent de multiples formes.  Mais pour combien de temps encore ?
Au début des années 1980, il exista dans le pays, selon les souvenirs émus des psychiatres rencontrés, jusqu’à « une centaine de structures comparables » au centre Antonin-Artaud. « Là, on est les derniers dans la région, sûr. Et on ne doit pas être plus de dix en France. » Le volet psychanalytique de la formation des psychiatres a été réduit en poussières depuis une quinzaine d’années, et la spécialité psychiatrie s’est retrouvée supprimée.





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