Mardi 3 juin 2014 au Muséeum des Sciences Naturelles, Orléans
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Le corps est le modèle structural de l’espace, souligne Gisela Pankow. Les canons de l’architecture grecque comme le Modulor de Le Corbusier imitent ses proportions : le corps s’y reconnaît. Dès sa naissance, l’être humain rencontre un monde déjà investi, structuré, institué. L’accueil de sa présence précaire est la condition de sa croissance. Sa dépendance initiale détermine sa « capacité d’être seul » (D-W Winnicott) et de construire avec autrui un monde habitable où son existence prenne sens. Sa maturation neurologique lui permet de se reconnaitre dans le miroir et de se structurer psychiquement. Se percevant limité à son corps rassemblé par l’image, il manifeste d’emblée la jubilation d’en maitriser la posture, le tonus, le mouvement.
Cette jouissance le conduira à explorer l’espace du jeu, auto-construction anticipant son éveil à la réalité et la culture, puis le monde alentour : tel l’homme qui marche de Giacometti, découvreur, chercheur, il franchira des seuils, en attente de sublimation, s’ouvrira à d’autres espaces, en quête de nouvelles rencontres. Parlé avant même sa naissance, parlêtre dit Lacan, il parle en son nom propre, confrontant son vouloir-dire aux conditions qui rendent possible son expression. Sa construction personnelle chemine à la rencontre des espaces architecturaux de la maison et des différentes pièces où s’éprouvent des ambiances, des façons d’être, des temporalités variées. Se présentent ensuite les espaces de la cité : jardins, rues, crèche, école, garderie, centre aéré, lieux d’activité sportive, culturelle, artistique, religieuse, … découvertes où il se trouve engagé dans son processus de croissance et d’auto-création désirante, avec les autres. Ces espaces de la cité ont leurs caractéristiques matérielles, leur place dans le tissu urbain. Ils sont agencés selon les lois de la société, mais aussi selon le potentiel de création de ses concepteurs, de ses constructeurs. L’organisation territoriale rencontre la concrétisation du désir de l’architecte, de l’urbaniste, des bâtisseurs. Tout bâtiment est potentiellement porteur d’une ambiance nouvelle, sa construction achevée est un événement où le monde s’ouvre (H. Maldiney) dans sa nouveauté. Au- delà de ce qu’il offre dans sa matérialité, il s’offre à l’investissement de ceux qui vont l’habiter, le faire exister. L’habitation y est à la fois collective et singulière. Elle recueille la disposition d’être de chacun, son investissement intime et extime en ce lieu où il est sensé exercer son statut, son rôle social. Ainsi, par exemple, la prison, l’hôpital, l’école, les lieux éducatifs, psychothérapiques, de formation, d’assistance, les maisons de retraite obéissent-ils à des normes, des contrôles d’instances tutélaires, ou à des impératifs organisationnels ; mais cette prescription est toujours restreinte par rapport aux potentialités inventives, créatrices et désirantes qui animent les humains. Accueillir des personnes et plus spécifiquement encore quand elles souffrent d’autisme ou de pathologies psychotiques, transcende la commande sociale. Au-delà des tentations panoptiques ou des exigences actuelles de transparence, une sagesse pratique respectant l’opacité singulière apparaît indispensable pour ne pas écraser le lieu précaire du dire où chacun, contre toute attente et à l’insu de tous, peut se risquer à inscrire du nouveau dans son existence. L’architecture l’investissement humain. L’homme convertit tout espace en lieu habitable, en un monde en création : monde alentour et monde intérieur (Umwelt et Innenwelt) s’y conjoignent dans une atmosphère où se manifeste le jeu du sentir-sensible pathique (V. von Weiszäcker). Où qu’il se trouve ou se perde, l’être humain, ontologiquement hésitant entre nomadisme et sédentarité, unit paysage intérieur, (où les traces de ses ancêtres, leurs coutumes, leur histoire s’inscrivent), et paysage extérieur marqué par les qualités intensives d’ambiances : c’est là qu’il se construit en partageant avec les autres une co-existence éthique. Une fonction harmonique doit pouvoir être préservée pour offrir un assentiment constructif. Fonction d’accueil collective et personnelle, l’habiter-penser au service d’autrui vient transcender les espaces où les humains ont commerce et se fréquentent. Eduquer, soigner, gouverner, les tâches impossibles de Freud trouvent là leur site : un lieu de présence unissant bâtir et penser.
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