Jean Oury, si la vie de l’homme s’est éteinte, son existant ne fait que commencer...
L’information est connue depuis ce vendredi 16 mai 2014. Le Docteur Jean Oury s’est éteint dans la nuit, chez lui à la Clinique La Borde, à l’âge de 90 ans. Un cancer du pancréas. Les obsèques ont lieu ce Jeudi 22 mai à Blois. L’association AEDIP adresse ses sincères condoléances et un témoignage de sympathie à ses proches, amis, familles, patients, étudiants... Jean Oury nous avait fait l’amitié ces dernières années, sur l’invitation de l’association AEDIP, de venir par deux fois au CHI de Clermont, salle Pommery.
La première fois, c’était le 29 novembre 2007, il était intervenu avec Olivier Legré, Jean Flipo, Olivier Boitard et Albert Moreau, sur le thème de l’antagonisme entre autorité et pouvoir. Franck Drogoul et Élisabeth Gailledrat Naneix de la revue Institutions étaient également présents. Jean Oury avait été ravi de l’accueil et de l’écoute que lui avait réservés le personnel du CHI, ainsi que des courriers amicaux qu’il avait reçus de la part de nombreux soignants pour le remercier de sa venue. Du coup, il avait activement souhaité revenir. Ainsi, le 23 mars 2011, nous avions pu à nouveau l’accueillir sur le thème de “La psychiatrie et les sciences”, aux côtés de Bruno Fallissard, Philippe Bichon, Albert Moreau, Bruno Tournaire et jean Flipo. Encore une très belle journée.
Du gamin de la Garenne Bezons qui se plaisait à répéter que c’est là, en jouant avec les autres gamins du terrain vague, qu’il avait tout appris des bases de la psychothérapie institutionnelle, à l’homme de La La Borde et du séminaire des troisièmes mercredis de Saint-Anne à Paris qu'il aura investis jusqu'au bout, Jean Oury aura eu une vie longue, belle et bien remplie. Les années 30 et 40, Victor Serge, Marceau Pivert, la révolution sociale d’Espagne 36-39, le POUM, François Tosquelles, Saint-Alban, la libération... Jean Oury aura été de tous les combats contre les fascismes, nazismes et stalinismes, et pour la psychothérapie institutionnelle.
Soigner en permanence l’institution soignante pour qu’elle puisse soigner le malade. Et puis : Jacques Lacan, Jacques Schotte, et tant d’autres qui ont compté. Et aussi : le secteur, sa rupture avec le public, la clinique La Borde, les séminaires de Ste-Anne... Il n’aura eu de cesse de défendre les schizophrènes et les soignants contre les logiques d’aliénations gestionnaires et bureaucratiques écrasant le soin.
Après les années 70 il s’était positionné, il avait positionné la psychothérapie institutionnelle face à “l’antipsychiatrie” très en vogue à cette époque, en montrant que l’on ne pouvait confondre, faire fusionner ce qui relevait de l’aliénation transcendantale, pathologique et ce qui relevait de l’aliénation sociale. Il était cependant nécessaire de se réunir collectivement autour des points d’articulation entre ces deux aliénations. Et que c’était autour de ces articulations que naissait ce qui était de l’ordre du collectif, c’est-à-dire ici du Politique. Jean Oury se plaisait parfois à rappeler, s’en amusant, que les étudiants en psychologie gauchistes de la faculté de Vincennes qui le traitaient de “flic-iâtre”, s’étaient par la suite parfaitement insérés et adaptés au système libéral détruisant le soin. Alors que lui, plus de 30 ans après, était toujours debout ! On se rappellera ces savoureuses journées de Laragne où il créa le scandale en présentant à un public de gestionnaires d’hôpitaux, bureaucrates et technocrates, un “plan d’organisation sanitaire”. D’abord, nos modernes gestionnaires furent ravis du contenu de ce plan d’organisation, et ravis qu’enfin les médecins deviennent “sérieux” et parlent enfin un langage compréhensible. Mais il déchantèrent vite lorsqu’il leur révéla que ce “plan d’organisation sanitaire” qui les avait tant intéressés n’était autre que celui du Reich ! Il avait réussi son coup !...
Bien sûr, il faudrait parler de son art du soin, de l’extraordinaire contact qu’il savait établir avec les patients schizophrènes qu’il rencontrait aussi, parfois la nuit, dans les jardins de La Borde... Il faudrait parler du narcissisme originaire, des regards sans bord de ces femmes victimes dans l’enfance de pédophilie incestueuse, de l’articulation contre la fusion entre l’imaginaire, le symbolique et le réel, de sa définition à contre-courant du langage commun, de l’antagonisme entre sympathie et empathie, de la force de conviction des schizophrènes.
Son apport à la psychiatrie est immense. N’hésitez pas à chercher sur vos moteurs de recherche d’Internet des textes et interventions de Jean Oury, vous trouverez beaucoup de choses... À ce propos, si malheureusement pour des raisons techniques de dernier moment nous n’avions pu filmer l’intervention de Jean Oury, en salle Pommery en mars 2011, nous avons gardé l’enregistrement vidéo de son intervention de novembre 2007, filmée par Madame Maryline Clin. À cette occasion, sur demande, et contre un DVD+R vierge, nous pouvons vous dupliquer la copie de cette vidéo.
Jean Oury se méfiait des concepts sur le vivant, il mettait en garde contre le “bio-politique” dont la logique mène à la traite du vivant, à la relégation de la folie, à la traite totalitaire du travail... Face au vivant, il opposait l’existant. Cet existant qui s’inscrit au-delà de la vie et de la mort, et qui s’exprime à travers l’œuvre accomplie dont héritent les vivants. C’est ainsi, disait-il, que Marx, Freud et tant d’autres étaient existants. Gageons que si la vie de Jean Oury s’est éteinte, son existant ne fait que commencer.
Yves-Michel Dusanter, président d’AEDIP
mais où contacter ce monsieur pour obtenir cette fameuse vidéo ?? Je ne trouve rien sur l'AEDIP sur l'internet...
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Vous pouvez écrire à Yves-Michel Dusanter : dusym@club-internet.fr
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